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DOSSIER à voir

«L’espace de la scène est un espace-temps où l’imaginaire est collectivisé. Un espace-temps où la pensée s’hybride »

Maxime Kurvers - Metteur en scène

Comment ton spectacle La Naissance de la tragédie joue avec la notion d’hybridation ? 

À l’origine, je n’ai pas pensé ce projet comme un projet hybride, et même au contraire. Pour cette pièce, je voulais me concentrer sur le théâtre. Il s’agissait en un sens pour moi d’une tentative de réconciliation avec une certaine théâtralité. C’est pourquoi, j’ai décidé de centrer ce projet sur la question de l’interprète et de sa subjectivité, c’est-à-dire sur la manière dont il peut guider un récit et en faire théâtre, je voulais créer une situation théâtrale, réduite au maximum. 

Peux-tu préciser cette situation théâtrale ? 

La situation est unique : un acteur qui parle au public et tout le monde qui imagine ce récit. Et formellement, la pièce est très simple. Il s’agit de parler de théâtre dans un théâtre, et à travers le récit de la plus ancienne tragédie connue, de renvoyer à l’historicité de notre pratique. C’est seulement après-coup que l’on a décidé, alors qu’il ne parle que du dispositif théâtral, que notre spectacle pouvait en sortir. On a donc commencé à aller le jouer à l’extérieur, dans la rue, auprès de travailleurs immigrés, auprès de réfugiés, dans des campus universitaires, dans des écoles, etc. Et c’est dans ce cadre, que l’on vient à l’Université de Nantes pendant le festival IDÉAL.

Tu parles de performativité du récit et de subjectivité de l’acteur, comment as-tu travaillé la forme de la pièce ? 

Nous avons travaillé à partir de données « objectives », ayant à notre disposition quelques éléments d’histoire antique ou d’archéologie ainsi que le répertoire d’Eschyle. Mais ce que j’ai demandé à Julien Geffroy, qui est l’interprète du spectacle, c’est de travailler à partir de ces matières avec son imaginaire. La dramaturgie est donc soumise à son imaginaire, si bien que le spectacle a le droit de ne pas être le même de soir en soir, l’acteur ne naviguant pas de manière identique dans sa mémoire à chaque représentation. Le sujet du récit reste le même : il est celui de cette très ancienne représentation des Perses d’Eschyle, en 472 avant notre ère. On en redonne son histoire tout en spéculant sur sa mise en scène et sur sa réception d’alors. 

Tu travailles entre l’imaginaire que l’acteur a du texte et ses affects, mais par un principe de cause à effet, les affects de spectateur·ices sont-ils également impactés ? 

Ça, c’est le pari. Je sais par exemple que c’est une pièce où généralement Julien va beaucoup pleurer, mais d’un point de vue de la dramaturgie, je ne voulais pas tricher sur la question de l’émotion, de ce qui lui arrive lorsqu’il le raconte. Que cette question reste un enjeu performatif et non dramaturgique. Je veux que ce qui arrive à Julien chaque soir, ce soit son présent et non une projection de ce que la pièce pourrait faire sur les gens. 

Quelles hybridations l’espace de la scène permet-il ? 

La Naissance de la tragédie m’a engagé à vérifier ce que la représentation pouvait, et de quoi elle était le nom. Ce que la pièce m’a fait découvrir, c’est que l’espace de la scène ne repose sur rien d’autre qu’un imaginaire mis en partage. Elle m’a offert une définition du théâtre que je fais mienne désormais, celle d’un espace-temps où l’imaginaire est collectivisé. Un espace-temps où la pensée s’hybride. 

Propos recueillis par Charlotte Imbault ​