« L’abolition des privilèges » vu par Détéctives Sauvages



Critique d’Anne-Laure Thumerel, 20 mai 2024.

Un espace vide au centre de quatre tribunes en quadri-frontale. Un écran plat suspendu. Un trône un peu chiche perché sur un praticable et des reproductions peintes de fausses moulures suspendues qui se chargent moins de faire leur office scénographique – puisqu’elles paraissent assez superflues –  que d’être une signalétique royal velours un peu taquine : « attention théâtre zéro-scéno mieux produit pour être mieux diffusé ! ».

On reconnaît là le sens des priorités théâtrales de Hugues Duchêne. Le plateau est un terrain de jeu sommaire à peine accessoirisé qui attend les acteur·rices . Quand les spectateur·rices entrent en salle, certain·e·s se voient octroyer un « petit plus » que d’autres n’ont pas, parce qu’iels se sont assis·e·s à la bonne tribune. C’est une définition en acte : ce qu’on appelle un privilège est un avantage, une facilitation de l’existence, un pouvoir symbolique dont les autres sont privé·e·s. Cette minorité privilégiée se voit confier le rôle de la noblesse. Les corps-spectateurs deviennent ainsi des corps politiques, c’est-à-dire des membres d’un corps-groupe, d’une classe sociale. L’auditoire se regarde, divisé par des frontières symboliques, mais conscient de former le corps-public. La théâtralité d’une séance parlementaire est savoureusement établie : le théâtre paraît l’outil adéquat tant pour la fable que le faire politique.

La séance commence avec un extrait du journal d’Adrien Duquesnoy, député du Tiers-Etat de Bar-le-duc aux Etats Généraux réunis à Versailles en 1789. Tandis qu’il se rend à l’assemblée nationale, réincarné dans l’imagination d’un Duchêne sous les traits d’un jeune député de centre-gauche  faisant son  brief matinal en call avec nous via Facetime, Adrien Duquesnoy appréhende la séance parlementaire du 03 août 1789. Il apparaît comme  un révolutionnaire « ordinaire » :  porté par les événements, il se prononce peu mais c’est un fin observateur de la crise économique, politique, sociale en cours à l’été 1789. Guidé par cet œil attentif et invité au jeu anachronique du « sauras-tu reconnaître les marqueurs d’ancien régime de ton époque ? », nous entrons dans le revival épique à la sauce pambet-duchêne de  l’accélération de l’histoire qui a eu lieu cette nuit-là. Épisode mythique du roman national français, la nuit du 04 août 1789 voit basculer l’Ancien Régime et fait de la France le pays de l’abolition des privilèges puis des droits de l’homme. Elle a nourri une mythologie révolutionnaire qui a entériné (un peu vite) l’idée que l’ancien régime était définitivement derrière nous et a aveuglé longtemps sur les ambiguïtés de notre système démocratique quant aux questions d’égalité et de libertés publiques.

Maxime Pambet, qui mérite bien son titre honorifique de bête de scène ou de brûleur de planches pour sa précision redoutable, sa virtuosité rhapsodique, sa maîtrise des accents régionaux, ses mimes et son endurance de sprinteur théâtral, joue tout et sait tout jouer.  Il « ravive »  les fantômes révolutionnaires et met son corps au service de l’exercice sportif du débat démocratique ; la  pensée, comme un ballon de foot sur le stade,  circule, rebondit, se retourne, se fait la passe, marque des points, fait boule de neige.  Il officie au partage des voix au sein de l’assemblée nationale, à la narration, aux effets de résonance avec notre actualité. On reconnaît la signature de Hugues Duchêne qui aime l’acteur-épique capable de jouer dix personnages à la fois voire tout le peuple s’il le faut tout en restant lui-même et en filant une narration. L’incroyable complexité de cette nuit qui ne s’est pas faite en un jour est ainsi remuée sous nos yeux : le  « mouvement de l’histoire », qui mène heure par heure à la nationalisation, l’abolition des privilèges des classes, des provinces, des villes et des corporations, est décrypté dans ses micro-rouages à vitesse grand V. La langue limpide et le récit historique minutieux de Bertrand Guillot dans son roman, L’abolition des privilèges, nous offrent la leçon d’histoire la plus trépidante qu’on puisse rêver. Cette première partie file comme une flèche. Elle « échauffe » l’espace, les corps, la pensée ; elle insuffle de l’élan. Ce qui a été institué un jour peut être destitué. Le régime féodal peut s’écrouler mais nos libertés publiques et droits sociaux acquis de haute lutte le peuvent aussi, en fonction des forces qui s’exercent par le peuple ou sur le peuple. Alors, dans quel sens basculons nous en 2024 ?

Pambet fait un arrêt de jeu net  à la fin de cette première partie et laisse le parfum d’ancien régime nous monter au nez. Ça pique. La France de 1789 est dans un marasme financier dramatique (baisse des prix agricoles, faillites multiples des industries donc chômage de masse, sécheresses et grêles qui déciment les récoltes, famine en perspective, flambée des prix), Louis XVI doit taxer les riches pour sortir du déficit mais ne le fait pas (trop peur de les « froisser »),  le peuple est fortement politisé et à bout d’un demi-siècle de révolte contre des seigneurs qui répondent par la démophobie et la répression, ce qui transforme la colère en insurrection, la prise de la bastille a eu lieu, contexte de « grande peur » (émeutes, attaques de chateaux)… La recette d’ancien-régime a changé en 2024 mais le résultat est le même : le peuple est exsangue et humilié à force de soutenir un système  dont les riches s’accaparent les profits et le « bien-vivre », les grandes-gueules réactionnaires s’acharnent à envahir l’espace médiatique pour tenir à bout de bras une société mourante, violente, déchirée.  Pour quoi déjà ? La conservation des privilèges. On comprend alors que l’ancien régime n’est pas une période de l’histoire circonscrite et abolie : c’est un spectre systémique qui hante nos institutions et modes de fonctionnements socio-économiques qui peut revenir puisqu’il n’est jamais vraiment mort.  

Le sinueux chemin historique qui verra (peut-être) l’abolition de notre ancien régime est à défricher. Dans cette deuxième partie, Hugues entre en scène auprès de son ami Maxime et ouvre une séance « check tes privilèges » pour un hypothétique futur grand soir, sait-on jamais. Sur le mode de la causerie entre amis assagis après un passif de grandes bringues, nos deux jeunes hommes hétéro-cis blancs cultivés et charismatiques s’y attèlent, plein de bonne volonté, conscients tout autant que poussés par les luttes en cours à renoncer à leurs privilèges. Mais il est toujours plus facile de reconnaître les privilèges à abolir chez les autres. Alors, l’ancien régime, c’est qui ? À qui faut-il couper la tête ? Ils ne sont pas d’accord. Comment est-ce qu’on renonce à ses privilèges ? Est-ce qu’il suffit de proclamer qu’on y renonce ? N’est-ce pas chercher sa médaille de vertu comme la noblesse française de 1789 ? Comment déstructurer une société historiquement fondée sur les privilèges ?Évidemment, il n’y a pas de réponse. Bien qu’inconfortable, l’éthique du questionnement est probablement la posture agissante la plus juste. Alors, pour le moment, être un Adrien Duquesnoy 2.0, finalement… Ne pas flamber sur le théâtre des événements mais, tenir un journal, analyser, comprendre, écouter, se taire, ne jamais négliger le contexte et la lecture historique … et être aimant :  s’allonger en cuiller auprès de ses ami·e·s et des personnes qu’on aime pour continuer à  a-juster sa position au sein du vivre-ensemble. C’est le premier terrain politique sur lequel on peut agir.

L’ABOLITION DES PRIVILÈGES
D’après le roman de Bertrand Guillot
Adaptation et mise en scène HUGUES DUCHÊNE

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