Rencontre avec Léa Vinette, danseuse et chorégraphe qui développe son travail depuis 2020 entre Nantes et Bruxelles. Son travail chorégraphique allie une physicalité viscérale et charnelle avec une écriture sensible. Plein feu sur sa nouvelle création Nos FEUX : un duo avec le danseur Ido Batash dans l’imaginaire bouillonnant d’un volcan en éruption.
Elle, à Bruxelles. Nous, à Nantes. Entre les deux, une plateforme de visioconférence. Et surtout, Nos FEUX, la nouvelle création de Léa Vinette. Nous sommes en juin. Et la première est encore loin. Très loin même… Mars 2024. « Je sors de trois semaines de résidence et je suis dans une phase de digestion. Durant cette période, j’ai commencé à construire Nos FEUX de manière chronologique. Puis, j’ai décidé d’arrêter de procéder ainsi pour me concentrer de manière isolée sur des matériaux, des scènes… Travailler de manière chronologique faisait que le matériau ne se révélait pas suffisamment exploité ». Même si elle est naturellement en pleine phase de réflexion, la chorégraphe formée au Conservatoire de Nantes puis de Lyon sait parfaitement où elle va. Et surtout d’où elle part. Et ce même si l’origine de ses mondes dansés relève de l’accidentel. Pour Nox, sa première création, un article du Monde Diplomatique consacré à la pollution lumineuse. Pour Nos FEUX, Annette, le film de Leos Carax, et La Psychanalyse du feu, le livre de Gaston Bachelard, théoricien de la connaissance scientifique.
J’ai ressenti une émotion très forte pendant la scène d’ouverture d’Annette. Elle m’a invitée à créer. Parallèlement, aux puces de Sainte-Croix à Nantes, j’avais acheté pour un euro La Psychanalyse du feu. J’ai senti une intuition forte que ce livre pourrait m’ouvrir un champ de création, comme un appel vers l’énergie du feu. Le livre de Bachelard réunit trois mondes qui m’attirent : la poésie, la chimie et la psychologie. ». Et cette deuxième création s’est aussi imposée rapidement sur la route de Léa Vinette. « Je voulais apprendre à devenir un peu plus chorégraphe. Nox est un solo où tout un aspect du travail chorégraphique n’a pas été exploré. Avec Nos FEUX, je franchis une nouvelle étape
Léa Vinette
Cette quête multiple se nourrit aussi par le travail des médiatiques volcanologues Katia et Maurice Krafft, les Cousteau de la lave.
« Attention, nous n’incarnons pas les Krafft. Mais deux figures cherchant leur voie, défendant des territoires et rencontrant, pendant leur périple, des personnages imaginaires. Ces deux figures sont constamment attirées par des éruptions émotionnelles, de danse… Ces événements les surprennent. Et sur leur chemin, elles découvrent une matière rouge et bien réelle au plateau. De ce chaos, ces deux créatures renaissent à nouveau. Nos FEUX déploie ce qui bouillonne à l’intérieur de ces corps : du désir, des pulsions, des chansons, de la lave… ». À l’autre bout de l’écran, celle qui est entrée dans la danse dès l’âge de 4 ans à l’école de musique de Rezé ne perd jamais le fil de sa recherche et cherche rarement ses mots. Mais pourquoi parler de figures ? Du tac au tac, Léa Vinette enchaîne : « Oui, nous ne savons pas si ce sont vraiment des personnages, des hommes, des femmes, des animaux… Dans leur monde, il n’existe pas de logique réelle. Je ne voulais pas enfermer ces deux figures dans une relation de couple, de frère et soeur, de parents et d’enfant… J’ai ce désir de créer un être non genré. L’important, ce sont les émotions, les transformations, la quête… Par contre, il était évident que pour m’accompagner, je voulais un homme. Pour que nous soyons tous les deux malléables. Pour que nous explorions ensemble le féminin, le masculin ». Alors oui, Nos FEUX, ce sont ceux de Léa Vinette. Mais au regard de sa prose combat et de ce que la chorégraphe veut déverser sur scène, ce sont aussi les nôtres.
→ Propos recueillis par Arnaud Bénureau en juin 2023.