À l’heure convenue, Yasmine Yahiatène, artiste tout-terrain installée à Bruxelles après avoir traversé la France du Sud au Nord, décroche. Direct. Et immédiatement, on veut se libérer d’un doute quant à La Fracture, seul en scène autopsiant en mots, en images et sans anesthésie les liens père-fille. La réponse est franche et ne se fait pas attendre. « Oui, papa est décédé pendant la création du spectacle. À ce moment-là, j’ai fait une grosse pause ; car je ne distinguais plus la vie et le travail. Je suis désormais en paix avec la distance qui nous séparait. Pour autant, tout cela donne une dimension encore plus universelle à La Fracture. » Si cette fracture sonde profondément sa sphère intime ; elle nous gratte toutes et tous.
Car même si ce spectacle raconte le parcours d’un père depuis sa Kabylie natale jusqu’à son Nord-Pas-de-Calais d’adoption, questionne les origines et « fait acte politique » ; La Fracture relève d’un je(u) collectif. « Nous sommes six derrière cette pièce. Car faire une thérapie au plateau ne m’intéressait absolument pas. J’ai un psy pour cela. En m’entourant de plusieurs langages artistiques et de différents récits, je donne de la puissance à mon récit. La Fracture est une création collective sur un sujet qui m’appartient. »
« Je ne considère pas La Fracture comme un seule en scène ;
mais comme un dialogue avec la vidéo. »
Le sujet lui appartient tellement que Yasmine Yahiatène, vidéaste de formation, mais aussi plasticienne, comédienne et performeuse, s’appuie sur ses archives VHS pour faire se frotter son histoire avec celle s’écrivant avec un grand H. L’omniprésence de la vidéo au plateau permet à l’artiste de faire un pas de côté avec la seule en scène. « Effectivement, je ne considère pas La Fracture comme un seule en scène ; mais comme un dialogue avec la vidéo. »
Comme un dialogue presque silencieux avec son passé, avec son père, avec son histoire… « Je n’en pouvais plus des silences de mon père. L’écriture au plateau joue avec cette dramaturgie venant du silence. Les mots, je les écris au sol. » Et avec le temps, La Fracture crève le plafond et rencontre un succès dépassant les frontières. « Nous avons joué en Allemagne, en Suisse, en Roumanie, en Hongrie… Nous avons des propositions pour le Danemark, la Suède… Je pense que le rapport au silence, la figure du père, le déracinement sont des valeurs universelles. » Et puis, dans cette intimité et dans cette parole politique, il y a 1998. Il y a Zinédine Zidane. Il y a le grand pont entre les deux côtés de la Méditerranée. Et sans faire exprès, Yasmine Yahiatène accentue la puissance universelle de son propos. « Le parallèle avec le football a bien marché. Car chaque pays à un Zidane dans son équipe. Et souvent, c’est une personne racisée. » Avec La Fracture, Yasmine Yahiatène impose ses règles du ‘je’ et fonce droit au but. Franche, directe. Comme dans sa vraie vie, quoi !
Texte : Arnaud Bénureau, sept. 2024
À découvrir
- Festival FAUVES
La Fracture
Yasmine Yahiatène
Lun. 14.10 – Mar. 15.10
Un seule-en-scène puissant qui tente de réparer une mémoire familiale peuplée de cicatrices, avec la vidéo et le mapping comme partenaires de jeu.