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_jeanne_dark_ ou un profil en pleine face

Derrière l’Insta de _jeanne_dark_ se cache une adolescente d’aujourd’hui décidant, un soir, de prendre la parole en direct live sur le réseau social. Créée en 2020, cette performance se jouant à la fois sur le plateau et sur l’écran d’un smartphone, est née de l’envie de la metteuse en scène Marion Siéfert et de la danseuse Helena de Laurens de s’interroger sur la création des images contemporaines. Virtuose et radical, toujours. Gadget, jamais.

Il est important d’évacuer d’emblée un éventuel malentendu. _jeanne_dark_ ne doit pas se réduire à une pièce pour Instagram…

Marion Siéfert : Tout d’abord, il est important de dire que _jeanne_dark_ n’est pas une réponse à la pandémie. L'idée de créer un spectacle, visible depuis le théâtre et Instagram, vient de la fiction que j'étais en train de construire en septembre 2019. Je travaillais au personnage de cette adolescente de 16 ans, qui vit aujourd'hui en 2020 et qui se fait harceler parce qu'elle est vierge. Son live est une réponse au harcèlement qu'elle subit.

Helena de Laurens : _jeanne_dark_ pose surtout la question du comment fabrique-t-on des images aujourd’hui ? Comment un seul et même corps peut se transformer à travers le simple objectif d’un téléphone ?

 

La pièce se diffuse sur deux territoires qui ne sont pas régis par les mêmes libertés. Comment avez-vous appréhendé cet aspect-là ?

Marion Siéfert : Instagram fonctionne sur des règles non démocratiques et jamais exprimées très clairement. C’est opaque. Pourquoi Instagram favorise un compte et pas un autre ? Il y a très peu de débats publics autour de ces questions. Instagram véhicule une norme, une esthétique et les valeurs qui vont avec. On apprend aux gens - et c'est encore plus visible chez les plus jeunes - à savoir se vendre, à donner envie. Se filmer de trop près, être moche… Tout ceci va à l’encontre de l’usage qu’ils ont d’Instagram. C'est ainsi que j'explique certaines réactions face au spectacle.

Helena de Laurens : En quelques secondes, vous pouvez passer du « t’es bonne » à la pire horreur du monde. Nous montrons qu’une photo ne représente jamais une réalité, mais un point de vue à un moment donné.

 

En étant interactive et en intégrant les commentaires des internautes, _jeanne_dark_ ne se présente jamais de la même façon au public…

Marion Siéfert : Gérer l’imprévu, intégrer les accidents de représentation est très théâtral. À chaque représentation, il y a un risque. Mais il est important de le prendre ; sinon, la pièce n’a pas la même beauté, la même force, la même radicalité.

 

Propos recueillis par Arnaud Bénureau