La saison 24-25 marque les 30 ans du TU, l’occasion d’inviter les artistes de la saison à répondre à quelques questions sur les générations et la régénération ! À nos futurs !
Denis Malard & Nicolas Petisoff forment la 114 Cie, avec laquelle ils écrivent, jouent et mettent en scène. Ils présentent leur spectacle Comment avouer son amour quand on ne sait pas le mot Pour le Dire ? en novembre 2024 au TU.
Nous ne défendons pas un théâtre d’hier, nous ne cherchons pas à inventer celui de demain, nous nous donnons pour vocation de réfléchir à un théâtre d’aujourd’hui. Notre fantasme artistique serait qu’à peine créés, nos spectacles soient démodés… C’est pas encore le cas.
Denis Malard et Nicolas Petisoff
Ta première relation à l’art, c’était quoi ? Comment ?
Nico : Pour moi l’art a été quelque chose de très abstrait jusqu’à mon adolescence. L’art c’était Vanessa Paradis, Mylène Farmer et 2 Unlimited. Je ne connaissais rien à la culture, j’ai grandi dans une famille préoccupée par des problématiques du quotidien : bien se loger, bien se nourrir, s’habiller comme il faut, rembourser l’emprunt de la maison et de la voiture, me payer mes études… Il n’y avait pas une grande place pour l’art. Et puis il y a eu cette rencontre avec le théâtre, au collège. C’était un atelier animé par un comédien et ma prof de Grec (j’étais passionné par la mythologie à cause des Chevaliers du Zodiaque du Club Dorothée). J’ai découvert cet outil d’expression de la liberté presque par hasard et c’est devenu important pour moi, et mes parents l’ont bien compris, ils m’ont épaulé même s’ils ne savaient pas exactement ce que c’était le théâtre. Mon père m’a donné le meilleur conseil que j’ai reçu jusque là, il m’a dit : « Je ne sais pas ce que c’est ton théâtre, mais si tu veux en faire ton métier, tu vas le faire comme un artisan, comme un boulanger. Si ton boulot c’est d’apprendre des textes et de t’entraîner à les jouer, alors je veux te voir debout tôt le matin pour apprendre des textes et t’entraîner à les jouer! ». Je suis le concept à la mode du transfuge de classe.
Denis : Mon oncle Philippe, qui nous emmenait mon frère et moi voir des spectacles aux tombées de la nuit à Rennes dans les années 90’, festival auquel il également pu participer en tant qu’amateur. Il était aussi musicien, comme d’autres dans ma famille. Tout ça a je crois allumé la mèche. Je suivais mon frère aussi, dans les répéts de son groupe de rock à la campagne, je devais avoir 10 ans et l’espoir de brancher des câbles. C’est de l’art les câbles LOL ?
Ton premier souvenir de spectacle / ou au TU ?
Nico : Le souvenir le plus marquant de théâtre pour moi, qui n’est pas mon premier, c’est Martial Di Fonzo Bo dans le Richard III de Matthias Langhoff en 1995. J’avais 15 ou 16 ans et c’est quand j’ai vu jouer ce mec que j’ai décidé d’être comédien. sa liberté me fascinait. Il y avait une scène dans laquelle il grimpait sur les accoudoirs des fauteuils de la salle et il s’arrêtait pour déclamer son monologue Shakespearien. Je me suis retrouvé entre ses pieds, juste en dessous de sa puissance, je recevais ses postillons sur le visage, j’espérais secrètement être contaminé par sa passion, j’étais subjugué. Je voulais être là, à cet endroit du vivant. Et maintenant, j’y suis.
Denis : Un spectacle de la bande à Makeïeff / avec des Deschiens dedans, au T.N.B à Rennes. Mes parents ne connaissaient rien au théâtre mais ensemble on regardait N.P.A sur canal+, pour y voir les Deschiens notamment. Mon père je me souviens à eu la curiosité de nous payer une place. : notre 1ère sortie au théâtre pour mon frère et moi. Un mur de carrelage s’effondrait dans ce spectacle. Quand tu vois ça gamin, tu te dis que tout est possible au théâtre. Au T.U j’ai eu la chance de voir pas mal de spectacles pendant mes études nantaises. J’ai entre autre le souvenir d’avoir pris une claque de découverte devant le travail de Joël Jouanneau.
Qu’est ce que l’art transforme selon toi ?
Nico : Je ne sais pas ce que l’art transforme dans l’absolu. Je sais juste que l’art m’a transformé. Grâce à l’ouverture que l’art m’a apporté, je me suis rencontré moi-même. J’ai embrassé ma singularité, je suis pédé, je suis né sous x, je tombe amoureux de la plupart de mes potes mec et place au rang de déesse mes potes meufs, je m’habille avec la même mode de mes 17 ans, j’arbore mes tatouages avec fierté, je ne supporte pas l’injustice sociale. Je suis tout ça. Si l’art a fait ça chez moi, si l’art m’a fait aimer chez moi ce que j’admirais tant chez d’autres, alors l’art doit faire ça sur tout le monde. Il suffirait simplement que tout le monde s’y sente invité…
Denis : Pas assez de choses, mais il essaie ! Rater encore mais rater mieux qu’il disait. Ma plus grande joie quand je travaille c’est de voir des ados accepter de se mouvoir dans leur intérieurs devant de petites et grandes questions. Joie de contribuer à ces minis transformations intimes qui unies les unes aux autres pourraient nous rendre, les rendre aussi bruyantes que la haine.
Quelles manières d’être au présent ton/tes spectacles propose-t-il ?
Nico & Denis : La 114Cie met en avant son envie de créer dans un esprit de collectif de travail, invitant divers artistes à collaborer aux recherches enracinées dans les problématiques contemporaines. C’est une écriture de l’instant, s’appuyant sur le témoignage et le vivant, dans une parole directe et une pensée möderne (en référence à « les jeunes gens mödernes »). Nous n’en sommes qu’au début de l’écriture de notre histoire. Nous ne défendons pas un théâtre d’hier, nous ne cherchons pas à inventer celui de demain, nous nous donnons pour vocation de réfléchir à un théâtre d’aujourd’hui. Notre fantasme artistique serait qu’à peine créés, nos spectacles soient démodés… C’est pas encore le cas.
Vers quels futurs l’art peut-il nous mener ?
Nico & Denis : Un futur meilleur, bien entendu ! L’art doit inviter à regarder l’Autre, à le considérer et à le respecter. L’art c’est l’endroit de la rencontre, de l’écoute et du partage. C’est un espace, quelqu’en soit le média, pour exposer le réel dans une forme de représentation pour provoquer le débat. C’est idéalement l’expression des égalités et des libertés. C’est utopiste de dire les choses comme ça, mais un monde sans sexisme, sans validisme, sans masculinisme toxique, sans racisme, un monde sans transphobie, sans homophobie, sans biphobie, sans guerre de culture, sans guerre de religion, sans antisémitisme, sans islamophobie, sans humiliation des low-middle-class (comme ils disent !)… ça serait quand même beau ce monde. Non ?
Quelles mutations, quelles transitions sont nécessaires pour toi ?
Nico & Denis : Il faut éteindre certaines chaînes de télé. Il faut se rappeler de l’histoire et ne pas se faire piéger collectivement par les manipulations de masse. Attention, nous ne sommes pas du tout adeptes du complotisme lol. Il faut séparer le pouvoir politique et le pouvoir financier. La mutation, elle est intime. C’est la façon dont on propose à nos enfants de regarder le monde. Nous aimons développer des projets pédagogiques pour ça : nous invitons à ouvrir la parole, à aiguiser le sens critique, à se faire son propre avis et à savoir le défendre. Notre vision doit s’agrandir, alors que le monde nous fait croire qu’il s’arrête sur le pas de notre porte, nous devons prendre le risque de regarder plus loin, de rencontrer l’inconnu. Ça fait grandir l’inconnu, ça fait du bien.
Comment tu imagines le TU dans 30 ans, en 2054 ?
Nico & Denis : Dans 30 ans, nous aurons 75 ans pour le plus avancé dans l’âge et 69 ans pour l’autre. Nous imaginons que le TU n’aura plus besoin de nos paroles pour tenter de participer à l’avancée des droits et des égalités dans le monde. Nous imaginons une agora bienveillante en place des théâtres. Nous imaginons que la salle sera pleine d’un public curieux de cet art que le TU aura réussi à rendre à nouveau populaire. Nous imaginons que le métier de Relation Public ne sera plus d’aller chercher le public, puisqu’il sera déjà là, mais de mettre en place des interactions et des débats qui ferons le lien entre vie et art. Nous imaginons que nous ne seront plus effrayés par le nationalisme car ça n’existera plus. Le TU comme tous les lieux où l’art s‘exprime sera une maison pour toustes.
-> Propos recueillis en août 2024.
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