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Portrait

Qui es-TU Julien Andujar ?

Portrait d'une création

« On va venir voir Tatiana. Cet acte est possible uniquement grâce au théâtre. » 

Julien Andujar est danseur et chorégraphe au sein de VLAM Productions, plateforme imaginée avec Audrey Bodiguel où le langage chorégraphique s’émancipe des formats spectaculaires convenus. 

Habituellement, au moment de la rencontre, l’exercice du portrait taille une route toute droite afin de faire défiler chronologiquement la vie de l’artiste : sa vie, son oeuvre, ses premières claques de spectateur·ice, ses influences majeures, le pourquoi du comment il ou elle est aujourd’hui sur scène… À l’heure de la restitution écrite, le fil chronologique se dissout. Mais là, avec Julien Andujar, les habitudes de l’interview ont valdingué dans les grandes largeurs. Et c’est tant mieux. Car Tatiana, le spectacle multiformes que présente le Nantais au TU, n’est clairement pas comme les autres. Et le jeune homme n’est clairement pas comme un autre. 

Inutile de perdre son temps et de prendre des pincettes, le chorégraphe et interprète n’aimerait pas. Tatiana Andujar, sa soeur, a disparu le 24 septembre 1995 sans laisser de trace. D’un coup, la vie de sa famille a basculé de la sphère intime à la sphère publique, aux pages des faits divers. Au fil du temps, Tatiana est devenue le symbole des disparues de la gare de Perpignan, « thriller macabre mêlant plusieurs faits qui, pour la quasi-totalité, ont été portées en justice et les enquêtes résolues. Tatiana reste pourtant la seule disparue sans corps, sans trace, sans coupable. Tatiana est une énigme. » 

Et aujourd’hui, plus de 25 ans après, elle est « l’héroïne du spectacle. Une héroïne qui n’arrivera jamais ». « Le spectacle est né d’une discussion avec ma mère, explique Julien Andujar. C’est son combat de toujours. Afin que l’on n’oublie pas. Afin que Tatiana ne devienne pas un dossier prenant la poussière. Et il y a quelques années, ma mère m’a dit que peut-être qu’un jour, nous aurons besoin de rendre hommage, de faire cérémonie. Car cette disparition n’est pas un acte en soi, mais une abstraction nous mettant dans l’impossibilité de faire notre deuil. Alors aujourd’hui, avec Tatiana, je veux faire cérémonie sur scène. Avec tout mon être et tout ce que j’ai pu traverser en tant qu’artiste. » 

Rarement, pour ne pas écrire jamais, nous avons rencontré un artiste aussi certain de son fait, aussi solide dans son discours, aussi précis dans sa démarche. « Après ma volonté de faire cérémonie, il y avait l’étape du titre. Je suis passé par une phase où tous les titres de spectacle relevaient de la poésie de supermarché. J’avais peur d’appeler cette pièce Tatiana. Je n’arrivais pas à faire le pas. Je ne voulais pas tomber dans un certain commun. Avec la disparition, on lui avait volé son prénom. En appelant mon spectacle Tatiana, je veux charger de nouveau son prénom de toute l’histoire, de la disparition et de tout ce que Tatiana était : une grande soeur, un modèle… Et puis, les gens vont venir voir Tatiana. Cet acte est possible uniquement grâce au théâtre. » 

Malgré l’évidence de l’intime, Tatiana a la puissance de l’universel grâce au travail mené par Julien Andujar. « Plus je suis précis, plus l’histoire sur scène est universelle. Ça parle de la famille, de la fraternité, du soutien familial, de la perte… Et surtout, je fais du spectacle vivant. Le mot est fort ». Vivant, évidemment. Protéiforme, aussi. « Il y a du théâtre, du chant, de la danse, de la magie, de l’humour… Tatiana est un spectacle complet. » Le premier que Julien Andujar signe seul. « C’est un solo. Pour autant, il y a plusieurs façons de l’imaginer. Soit j’incarne moi-même toute la matière, je m’entoure de deux personnes et je fais un one-man-show. Soit je vais voir plus loin dans le croisement des écritures. » Sans surprise, c’est la deuxième voix qui a été empruntée. « Je me suis entouré de collaborateur·ices afin qu’iels viennent augmenter la puissance de mon propos. » Et de ses nombreuses métamorphoses au plateau. « Les spectateur·ices vont voir sur scène un corps qui va changer d’état constamment car j’incarne une dizaine de personnages. » Autant de protagonistes qui font le «je» de cette famille Andujar qui est indéniablement la nôtre aussi. 

Texte : Arnaud Bénureau