Qui es-tu Aline Landreau ?
Interview
« J’ai pensé Narcisse comme un spectacle tout public où cohabitent des signes accessibles à des âges multiples. »
La chorégraphe, adepte de la matière danse, se met à hauteur des kids. En effet, avec ce duo qui tord le cou aux aprioris véhiculés par le mythe, elle compose une première création à destination aussi du jeune public. « Avec ce premier tout public, je m’adresse à l’enfant que j’étais. Celui avec un imaginaire assez fort. Évidemment, cela change l’élaboration du récit. J’ai pensé Narcisse comme un spectacle tout public où cohabitent des signes accessibles à des âges multiples. Cet ajustement ne s’inscrit pas vers le bas. » Le contraire aurait été surprenant de la part d’une artiste tenant en haute estime sa discipline. Une danse qu’Aline Landreau ne cesse de faire se croiser avec la matière. « Oui, je suis intéressée par le corps qui bouge. Mais je suis tout aussi intéressée par le corps qui s’hybride avec la matière. » Sur Corpus, sa première pièce créée en mars 2020 au TU, c’était le caoutchouc. Aujourd’hui, ce sont « des éléments réagissant à la matière noire, des petites billes de graphites venant déboulonner le cours normal des choses. Ça vient aussi contrarier la compréhension du monde. »
Le bouleversement de la perception du réel, les frontières qui s’entremêlent pour disparaître, participent pleinement à la force narrative de cet « anti-conte », néologisme taillé sur mesure pour ce Narcisse loin des attendus donc. « Je souhaitais me défaire du système classique du conte qui résout quelque chose. Là, nous sommes dans l’expérience. Je ne cherche pas à être linéaire, ni à être didactique. Je cherche l’expérience totale pour le spectateur ». Et le Narcisse de la chorégraphe va davantage puiser sa source dans la création radiophonique de Frédéric Midal pour France Culture, Narcisse accusé non coupable, que dans la mythologie grecque : « Le mythe de Narcisse raconte l’auto-centrisme, la beauté superficielle… Midal va à l’encontre de cela. Pour lui, Narcisse traverse des étapes initiatiques pour aller à la rencontre de lui-même. Et par extension, Narcisse avance vers l’autre et bien au-delà de son propre reflet. Au plateau, cette compréhension du monde et cette quête d’autonomie se concrétisent par une transformation permanente. Agençant des suites de petites métamorphoses entre corps, lumière et son de façon permanente, j’apporte un spectre d’inattendus ouvrant les portes de la liberté. » Et ouvrant la porte d’un Narcisse étonnant. « Je n’aime pas les évidences. En tant que spectatrice, j’aime que l’on me laisse faire mon chemin. J’aime l’invitation, le dialogue. C’est ce que je savoure et que je ne vois pas si souvent sur scène. »
Texte : Arnaud Bénureau