Aller au contenu principal
Interview à penser

Hervé Guilloteau en toutes premières fois

Interview

Hervé Guilloteau fonde sa compagnie Grosse Théâtre en 1998, avec laquelle il créé de nombreux spectacles. Ces dernières années, il a joué dans Le camion de Marguerite Duras sous la direction  de Marine de Missolz. Il a participé en tant que comédien à Tourista de Tanguy Malik Bordage et Nu masculin debout de Bernard Souviraa, créé par Clément Pascaud.
Il écrit et met en scène Tony en 2018, Il écrit sa seconde pièce Des gars de l’ouest, achevée en février 2020, qu’il présente au TU en janvier 2022. 

Quel est ton premier émoi de spectateur ?

Ça se passe du côté de Puy du Fou, vers l’âge de huit ans. Mon oncle avait obtenu de bonnes places par un copain à lui du Crédit Mutuel. La guerre de Vendée, le château en feu, les chevaux, les danses de groupe… j’avais adoré. Avant de pratiquer le théâtre début 1995, d’en lire et d’en voir sur scène, j’étais incontestablement plus tenté par le spectacle que par l’art dramatique, vu avant tout comme un art de la parole. Les premiers spectacles auxquels j’ai assisté adolescent, parmi eux Huis Clos de Jean-Paul Sartre, j’avais peur. Peur dès l’ouverture du rideau, puis de l’acteur avec un manteau loqueteux et une valise qui te matte pendant dix minutes en silence, peur du décor minimaliste, de sa présumée symbolique et de la musique bizarre. Aujourd’hui je sais que ce théâtre-là me rappelait terriblement le prêche autoritaire des curés. Et puis j’ai vu Hamlet-machine d’Heiner Müller mis en scène par Yvon Lapous, Le ventre de Jean-Michel Rabeux, Lets of Bach d’Alain Platel ou Mélancholia de Jon Fosse sous la direction de Claude Régy. Et j’en ai redemandé. Primo parce que la liberté de ces artistes me rappelait que libre, je l’étais aussi. Ensuite parce que la notion de spectacle s’avérait compatible avec la littérature dramatique. Enfin parce que l’engagement de ces créateurs résidait uniquement dans la force et la beauté intimes de leur œuvre. Le retour en force d’un soi-disant théâtre politique, souvent moche, porté par des interprètes qui se la jouent tribuns et où derrière chaque réplique, se cache On sait ce qui est bon pour vous d’entendre, me colle à nouveau la trouille.

À quand remonte la première fois où tu as voulu être metteur en scène ? Où tu voulu faire du théâtre ?
J’ai fait de la mise en scène parce que je ne voyais aucune raison objective qu’on vienne me chercher en tant qu’acteur. À la lecture de L’héritage de Bernard-Marie Koltès, j’ai décidé de m’y mettre et ça a continué. Mais je ne crois pas que cela naisse au départ d’un désir réel. Encore une fois, le théâtre n’est pas dans ma culture d’origine. C’est le temps, l’état de solitude et l’écriture qui m’ont fait découvrir une éventuelle esthétique personnelle. Par les mots, cette fois, plus que par la forme. Et puis la mise en scène, au-delà de l’inspiration, demande de grandes compétences sur le plan technique et humain. 
Techniquement, je me suis amélioré mais humainement non.

Des gars de l'ouest c'est le premier titre auquel tu as pensé pour ce nouveau spectacle ? Pourquoi ce titre ?
C’est le premier titre oui.
Dans Tony, mon précédent spectacle, je citais le pont de Saint-Nazaire, la bijouterie Cheval… tout ce qui permettait au public de saisir au mieux l’environnement qui avait constitué l’existence des protagonistes, sans avoir à fournir d’explications supplémentaires sur leur origine sociale, la raison de leur candeur, de leur déboires... Cela me semble important d’être précis. Dans le théâtre français, tous les bars pourris s’appellent Le Palace. Bien sûr, tout le monde comprend mais c’est faux. Près de chez mes parents, il y a un café qui s’appelle Le Prout, c’est quand même plus clair, non ? Plus simplement, Des gars de l’ouest annonce vraisemblablement quelque chose qui se situe ailleurs qu’à Paris ou dans le centre bourgeois d’une grande métropole, mais ce n’est pas non plus “Rendez-vous en terre inconnue” ! Raymond Carver ne comprenait pas que des gens, de passage par Valenciennes par exemple, atterrés, se demandent comment il était possible d’y vivre. J’imagine que Des gars de l’ouest, à sa manière, est aussi une réponse inconsciente à ce sempiternel mépris.

La première date d'un spectacle, ça te met dans quel état ?
C’est la deuxième représentation qui me fait flipper, pas la première. La première, c’est tellement insensé qu’il faut essayer de s’en foutre, ne pas gâcher le travail que tu as fait pendant des semaines et qui a bien des chances de ne pas s’écrouler totalement. Le public des premières n’est pas tout à fait un public normal : beaucoup d’invités, d’artistes, de professionnels… cela met forcément une pression supplémentaire de laquelle, je dois avouer ne m’être jamais complètement affranchi. Le soir d’une première, il faut uniquement penser au public qui a lu cette interview, décidé de se rendre au théâtre, pris sa douche et payé sa place.

Propos recueillis en déc. 21