Aller au contenu principal
à voir

#7 Alice Gautier

Bibliothèque des créations

Les artistes en résidence au TU partagent leurs questionnements sur leur travail en cours et quelques images de leur carnet de bord au quotidien. 

#7 Alice Gautier I Résidence tremplin pour Les Géants du 15 au 19 mars 2021 au TU

Quels sont les points de départ de ce spectacle  ? Comment naît le désir de création ?
Je travaille majoritairement avec la vidéo depuis ma formation en école d’Art. Je réalise des fictions qui sont hantées par le chorégraphique. C’est par l’écriture du geste, du rythme, de la présence que je travaille la question du sens, du récit.
Parallèlement je collabore régulièrement avec des chorégraphes sur des projets scéniques, performatifs ou cinématographiques. En traversant ces différentes expériences est apparu le désir de réaliser un projet pour le plateau.
Aussi, l’envie de création est parfois fragilisée par cette question : quel sens y a-t’il à faire des films dans un monde où l’œil est déjà sollicité en permanence par des images en mouvement de toutes sortes?
C’est de là qu’est née la volonté d’interroger la persistance des images, en me focalisant sur les souvenirs de cinéma.
Quelles sont ces images ? Quelles sensations contiennent-elles ? Quelles empreintes, traces, laissent-elles en nous ?
Par la rencontre entre ces mémoires et le désir d’inventer une forme spectaculaire avec Lucie Collardeau et Maxime Bonnin, s’invente le langage et la forme scénique de la pièce Les Géants.

Comment se déroule le travail de création ? Quel est votre processus ?
Qu’est ce qui se transforme pendant ce temps ?

J’ai d’abord collecté par le biais d’entretiens audio des souvenirs de films. J’ai ensuite mis en place des temps de travail au plateau sous forme de laboratoire avec Maxime Bonnin, Lucie Collardeau et Daphné Achermann.
Puisant dans ces souvenirs et ceux des interprètes, nous travaillons à en dégager des gestes, sensations, atmosphères, présences, rythmes.
En décortiquant les différentes strates constitutives de ces souvenirs, nous inventons des outils, des pratiques, des contraintes pour faire émerger des formes. Le souvenir, fragmenté, lacunaire devient alors un matériau et le passage du langage cinématographique au langage scénique, un outil d’écriture.
À partir de ces expérimentations commence à s’écrire la forme.
Celle-ci se construit sur l’articulation de plusieurs champs, celui du cinéma, de la danse et du théâtre. L’enjeu n’est pas de condenser tous ces champs mais plutôt d’inventer un objet singulier nourri de ces outils, de ces histoires. Ce qui se compose repose essentiellement sur la question du montage : montage de fictions, d’états, de registres, de présences.
L’écriture s’émancipe de son point de départ : le processus génère un effacement des sources et des références au profit d’un rapport entre les interprètes, qui ne cesse de de vaciller, de se transformer.
C’est en traversant ces ruines de gestes, ces mémoires de fictions, que ces deux figures tiennent ensemble et dans un monde.
C’est dans ces variations que Les Géants se rencontrent.

Combien de temps avez-vous besoin pour créer un spectacle ?
C’est la première fois que je crée un spectacle. Le processus des Géants s’étend sur plusieurs années, pour des raisons de production mais aussi parce que la scène est un terrain que j’ai peu expérimenté. J’ai eu besoin de temps pour l’explorer, pour comprendre ce qui s’inventait et savoir quelle direction prendre.
En outre, il me semble que ce temps a beaucoup de valeur. Cette sédimentation de gestes, d’imaginaires, habite les interprètes et permet un engagement et une qualité très précieuse à l’odyssée que l’on se propose.
Enfin, ce temps a été je crois pour chacun, la possibilité d’une transformation dans nos pratiques. Ils nous a autorisé à prendre des risques, à sortir de nos compétences pour s’aventurer dans un langage inconnu, et à grandir au travers de ces expériences.

Quelle définition avez vous du spectacle ? Quels sont les enjeux pour
vous de la création contemporaine ?

Prendre le risque de ne pas savoir ce que l’on fabrique mais tenter de le faire, inventer des formes et créer les conditions pour qu’elles nous échappent, et pour les rendre visibles.
Imaginer des contextes et des outils pour inventer collectivement, de manière non-autoritaire, dé-hiérarchisée, dans une écologie de rapports.
Partager de la vision avec tous les participants de cette cérémonie qu'est le spectacle.
Tenter de faire de cette expérience l’occasion d’une transformation, même diffuse, pour chacun.

Quel est votre moteur ? 
Dans un monde qui ne cesse de vaciller, Les Géants envisage la mémoire de l’art comme un socle possible. Traverser des ruines d’images, de gestes devient un moyen de recréer du sol entre les interprètes et avec les spectateurs.
Je suis un peu comme ces géants, l’art soutient mon rapport sensible au monde et aux autres. Il est un lieu indispensable, et je souhaite participer depuis ma place à entretenir ce lieu, ce sol, cet air.

Quel est votre premier souvenir de spectateur ?
Très jeune je pouvais passer beaucoup de temps devant le ressac de l’océan. Et de cette contemplation, de ce temps, de cette petite cérémonie, je sortais changée.
Après il y a eu la bande dessinée, la peinture, la photographie, le cinéma, les concerts, les spectacles. Mais il m’est très difficile d’en extraire une rencontre parmi les autres.
Où alors si, un récit d’une émotion de spectatrice, parmi d’autres…Il y a quelques années je suis allée à Assise, en Italie, où il y a dans l’église de Saint François d’Assise, des fresques du peintre Italien Giotto. C’était extrêmement émouvant de voir ces fresques du XIV siècle, et ces couleurs, ces gestes, ces visages. Je n’en ai pas du tout un souvenir écrasant mais au contraire celui d’une proximité très grande avec ces peintures. Cette sensation d’une intimité partagée avec ce temps lointain, je la conserve en moi comme un imaginaire très puissant.

 

Propos recueillis en mars 2021.