4 questions à Olga Dukhovnaya
Interview
Olga Dukhovnaya est danseuse, chorégraphe et pédagogue d'origine ukrainienne, basée à Rennes. Diplômée de P.A.R.T.S à Bruxelles en 2006, elle développe ses projets en Ukraine et en Russie de 2006 à 2010, puis obtient une Maîtrise en danse au Cndc Angers/Université Paris 8 en 2013.
En 2009, elle est lauréate de la bourse DanceWeb (festival ImpulsTanz, Vienne), et en 2012 du concours Danse Élargie (co-organisé par le Théâtre de la Ville-Paris et le Musée de la danse) avec Korowod, pièce inspirée d’une danse traditionnelle russe exécutée en groupe. Elle est également interprète pour Boris Charmatz et Maud Le Pladec et enseigne à l’Université Rennes-2 depuis 2017.
D'où viennent tes rêves ?
Ma vie est influencée par la réalité multiculturelle. Mon enfance et mon lien profond avec l'Ukraine, la culture juive de mes parents, l'environnement de la danse contemporaine et l'éducation européenne, la vie en France, tout cela vient souvent en contrepoint et produit une sorte de conflit intérieur permanent. Mais aussi une source d'inspiration. Mes rêves sont influencés par un mélange de tout ça, de mon histoire passée. Mais surtout de mon histoire future qui est un mélange d’ambition, de projections et de rêves. J’essaye donc de transformer cette "histoire future" en réalité. Je ne suis pas une rêveuse au sens passif. Je crois qu'un rêve vient avec le pouvoir de le réaliser. Tout ce que nous avons aujourd'hui, même les choses les plus folles, sont les rêves de quelqu'un qui a osé les réaliser. Donc je n'ai jamais révé d'aller sur la lune. Mes rêves sont assez réalistes. Et la seule chose qui différencie mes rêves de mes plans, c'est une quantité de pas que je dois faire pour y arriver. Mes rêves sont mes projets les plus lointains. C'est probablement un chemin pour toute la vie. Mais qui s'en soucie ?! Ça donne ce goût doux-amer de la vie que j’adore.
Quels imaginaires traversent ton spectacle ?
Il existe de nombreuses danses dont l’imaginaire est la source principale qui active le corps comme, par exemple, la danse japonaise butô. Dans le cas de Swan Lake Solo le processus était le contraire. Il s’agissait de "nettoyage" des mouvements du ballet original de la composante émotionnelle et de l'incarnation des personnages. C'était comme si la forme des mouvements avait été dépouillée de son contenu et de son imaginaire. Comme si nous prononcions un mot dans une langue inconnue. Et cela devient un ensemble de sons, ayant perdu leur sens. J'ai appliqué ce "regard étranger" au célèbre ballet. Mais les images reviennent, malgré la proposition formelle. Nous avons tendance à lire les mouvements et à leur donner un sens. Un mouvement trop ralenti, c'est comme un match de foot film ou un cauchemar nocturne. Un mouvement trop rapide c'est comme l'hystérie ou la panique. Le mouvement divisé en phases est comme la vie qui se décompose en fragments, comme si on n'arrivait plus à rassembler les morceaux.
Dans la pièce, je travaille également avec des citations et de l'histoire, ce qui active l'imagination du spectateur. L'image que j'ai utilisée pour créer le matériau physique et pour composer le spectacle est l'opposition du noir et du blanc comme les personnages principaux du ballet original : les cygnes noir et blanc. Mais dans un sens plus large : dualité du monde, mal et bien, mouvement et immobilité, bruit et silence. C'est la base du jeu.
Qu'est ce qui te rend puissante ?
C'est définitivement ma famille. Mes parents sont toujours là pour moi. Et cela donne un incroyable sentiment de confiance et de protection. Et quand j'ai eu mes enfants, c'.tait une transformation vraiment magique.J'étais très précaire dans ma profession, j'avais toujours cette voix critique dans ma tête. La voix qui me disait que tout ce que je fais est ordinaire, ennuyeux, jamais assez bien. J'ai tout essayé pour me débarrasser de cette constante voix autocritique mais sans succès. Et puis j'ai eu mon premier fils et tout a changé. Par le simple fait que mes levers de jambes et mes pirouettes n’étaient plus les choses les plus importantes au monde, ça m’a vraiment libérée et m'a rendu puissante.
Maintenant, je peux me concentrer pleinement sur le projet sans penser au succès ou à l'échec.
J'accepte l'échec. Je suis ouverte aux critiques. Et cela me permet d'être honnête et libre quand je travaille.
Qu'est ce que tu aimerais que le spectateur emporte avec lui après la représentation ?
Je n'ai aucun pouvoir sur les .motions des autres. Mais je veux créer une expérience pour le public. Une possibilité d'accéder à différents états par l'empathie et la proximité avec ce qui se passe. C'est aussi pourquoi je voulais faire un projet tout terrain. Faire découvrir aux spectateur·ices de nouveaux lieux et en faire partie, le voir et le vivre autrement. Vivre ces 35 minutes dans un autre timing et un autre état. Oui, je pense que c'est ça. L’art a remplacé la religion dans un sens aujourd'hui, ça nous fait sortir du monde matériel, sortir du quotidien et expérimenter une autre dimension du temps, de l'espace et de la présence.
Propos recueillis en juin 2022